
Aller au bout des soï
Je pense à tous ces berrichons, bavarois, balinais, basques, bédouins, bengali, bhoutanais, bronxites, bostoniens, british, bataks, belges, bernois et bâlois, bermudiens, là-bas, à cinq cent cinquante mètres, au début de la rue, proche de l’escalator du SkyTrain et du bureau de change SuperRich. Je pense à eux qui ne prendront jamais la peine de venir ici, à deux, allez, trois pas, là où le trottoir se fait plus rare; là où le chien erre et le chat de gouttière; où le massage est moins cher; où les mamies respirent les échappements devant leur shophouse; où le porc grillé est plus gras (donc meilleur); où le convenience store est une oasis; le somtam épicé; le légume bon marché; où l’enfant va à l’école en moto assis en sandwich entre le père qui conduit et la mère qui assure ses arrières; où les senteurs de lessive, de friture et de poubelles au soleil se marient pour ne former qu’un: l’odeur de la vie locale. Là, au bout des soï, dans les interstices des condominiums, au niveau du sol, jamais à terre, où la gentrification ne passe pas, on rencontre un sourire devant chaque seuil et une lutte à chaque coup d’œil. Là, où l’autochtone se demande si le farang que je suis ne s’est pas perdu, dans cette ville-là, je me sens en émoi.