Trimarder

Trimarder

De la nécessité d’errer.

Voyager, c’est un peu comme chercher des synonymes. On part d’un mot que l’on connaît pour en découvrir d’autres, jusqu’à en trouver que l’on ne connaissait pas et qui ont la résonance d’un premier amour ajoutée à la primeur d’une rencontre inattendue. Voyager, c’est partir de qui l’on pensait être, pour arriver à qui l’on est vraiment: capables de s’écrire, s’éditer et s’ériger sans s’éviter.

S’écrire, c’est ne pas céder aux verbes faibles. C’est ne pas suivre les flèches, les balises, les itinéraires décrits d’avance. C’est risquer l’impasse, la semblance de l’erreur, l’incompréhension des amis. C’est trouver de la chaleur dans le froid, du bonheur dans le triste et une lumière personnelle dans ce que d’aucuns qualifieraient d’impersonnel — pour leurs raisons personnelles à eux.

S’éditer, c’est remettre en question ce que l’on vient d’écrire en cédant encore moins à la tentation de recourir aux verbes ternes. Parce que c’est plus facile, puisque c’est habituel, déjà là, connu, usité par la majorité aveugle. S’éditer, c’est se reprendre, se remanier, s’offrir un inconfort temporaire et réparateur, et se dire que l’on en a encore sous la plume; c’est savoir qu’il n’y a jamais de point final pour celui qui n’en voit pas. C’est continuer, avec constance et sapience, de ville en village — dans la brume s’il le faut.

S’ériger, c’est remettre d’aplomb ce que l’on a de bancal. C’est d’abord le mesurer, l’admettre, l’affronter. C’est se gravir. C’est aller au-devant de ce qui nous a précédés, notre histoire, le chemin déjà foulé sans lequel on ne pourrait pas apprécier la perspective qui montre le juste cap. S’ériger, c’est prendre de la hauteur sur ce qui ne grandit plus en nous et qui reste ancré au port tout en se revendiquant marin. C’est prétendre à l’altitude qui définit notre attitude, envers soi, envers les autres, envers la Terre qui continue à nous accueillir malgré ce qu’on lui inflige. C’est être assez grand pour ne pas être petit, et assez petit pour ne pas se croire grand.

Enfin, éviter de s’éviter, c’est ne pas prendre pour synonyme ce qui ne l’est pas. C’est surmonter la difficulté de la langue; ne pas lâcher le premier mot venu, par faiblesse, par ignorance ou par paresse. C’est ne pas croire le miroir, mais le voir; réfléchir à sa réflexion, sans confusion, sans honte, sans embarras de se livrer enfin au sens profond de notre existence et de ce qui nous rend purement humains. Ne pas s’éviter, c’est accepter d’errer en soi et parmi la diversité infinie qui nous entoure. C’est se découvrir, s’explorer, se naviguer, se visiter en amis et, peut-être, créer ensemble un vocabulaire inédit pour bâtir des ouvrages qui rendent honneur à notre besoin vital de conjugaison humaine.

Voyager, c’est peut-être oser conjuguer des synonymes pour amplifier la pure conscience de nos sens.